Un impressionnisme informel
Par Eric Clémens, philosophe et écrivain
Voilà quelques années déjà que Rachel Silski s'acharne : à peindre la disparition impossible de la peinture, contre vents et marées des performances, des ready made ou des tags, à peindre contre le dilemme piégé de l'abstraction et de la figuration, à peindre ce qui touche à l'irreprésentable, les mythes les plus archaïques, les violences guerrières, les corps fragmentés, hachés... En même temps, dans cette esthétique du discontinu, son abandon aux aventures de la couleur aura toujours réintroduit sinon une réconciliation, au moins une efflorescence marquée même par le surgissement rouge des coquelicots dans les champs dévastés des massacres de 14-18...
Est-ce le motif - risqué, sur tous les plans, personnel comme artistique - de son voyage au Liban en août 2013, pays de tensions s'il en est ? L'expression de « guerre civile », par son absurdité littérale, en même temps que celle de « proximité menaçante et menacée » d'Israël sont autant d'antinomies qui ne peuvent que pro-voquer l'artiste, c'est dire l'inquiéter. Mais elle ne s'y rend pas pour repérer les lieux de guerre, elle y va pour percevoir des paysages, les forêts de cèdres. Est-ce afin de trouver l'apaisement à l'ombre des violences ? Ces forêts sont toutes dans des réserves dites naturelles. Silski en parcourt quatre (Ehden, Bcharré, Oadisha, Barouk ou Chouf), s'y enfonce, les photographie en noir et blanc, prend quelques notes et croquis, revient en Belgique, les peint de mémoire par séries de 8, 6 ou 4 petits formats, de 20 à 30 cm, à l'huile sur papier toilé.
Elle ne travaille jamais sur le motif, elle végétalise les arbres, elle les rend à l'eau, par coulées de couleurs vertes. Ces séries paraissent des monochromes, mais précisément, un parfait monochrome n'existe pas plus qu'un cercle parfait dans la nature. Seule la dénaturation, en réserve, en séries, en liquides, approche de la simplicité indistincte et insaisissable de ces arbres à leur origine. A peine l'esquisse d'un tronc s'échappe-t-il parfois du fond...
Du Liban, de ses cèdres célèbres en travers de ses guerres, Rachel Silski nous donne à voir l'impression des informes. Une perception fluente et matérielle, aqueuse, nuageuse, buissonneuse, à l'image limpide et sombre de notre monde.